Le bestiaire médiéval
LE BESTIAIRE MEDIEVAL
Last updated: lundi 23 février 2015
Les bestiaires servent moins à décrire les animaux, leurs particularités et leurs caractéristiques qu’à en faire des supports de significations morales et religieuses. Ces ouvrages « parlent des animaux pour mieux parler de Dieu, du Christ, de la Vierge, parfois des saints et surtout du diable, des démons et des hommes pécheurs. S’ils s’attardent sur les « propriétés » des bêtes et sur les merveilles de leurs « natures », ce n’est pas tant pour disserter sur l’anatomie, l’éthologie ou la biologie des animaux que pour célébrer la Création et le Créateur, pour enseigner les vérités de la foi, pour inviter les fidèles à se convertir. » ((PASTOUREAU Michel, Bestiaire du moyen-âge, Le grand livre du mois, 2011, p 11))
A partir du XIIème siècle, l’influence des bestiaires sera considérable et se retrouvera dans la sculpture romane, les contes, les fables (le « Roman de Renart ») les sceaux, les armoiries etc.…. Il ne faut surtout pas les confondre avec des livres d’histoire naturelle ou de zoologie. Les animaux y sont parfois représentés de manière naturaliste et réaliste mais le plus souvent de manière symbolique :
« Pour la culture médiévale, l’exact n’est pas le vrai. » ((PASTOUREAU Michel, Bestiaire du moyen-âge, op. cit., p 13))
Quant à la classification des espèces, celle qui nous est familière de nos jours leur est encore inconnue. (On peut noter ici que le terme par exemple de mammifère était pratiquement ignoré au moyen –âge).
« Comme les auteurs grecs et romains, ceux du moyen-âge distinguent le plus souvent cinq grandes familles : les quadrupèdes, les oiseaux, les poissons, les serpents et les vers(…) Les poissons incluent (…) la plupart des créatures vivant dans les eaux y compris les cétacés et les mammifères marins ainsi que des êtres qui sont pour nous totalement chimériques : la sirène, le moine de mer, l’énigmatique serra. Quant aux vers, ils comprennent tous les animaux de petite taille (…) larves, vermines mais également petits rongeurs, insectes, batraciens, gastéropodes et même parfois coquillages ». ((PASTOUREAU Michel, Bestiaire du moyen-âge, op. cit., p 14))
Le moyen-âge s’étendant sur une période fort longue, le regard porté sur les animaux change. Il existe toutefois deux courants de pensée : d’une part, croire que la nature animale est imparfaite voire impure, d’autre part au contraire, penser qu’il existe une parenté entre l’homme et l’animal, parenté pas seulement biologique. Les théologiens se sont beaucoup interrogés sur cette question.
Dans les bestiaires, il y a beaucoup de citations bibliques mais il est vrai que dans la Bible, les animaux sont souvent cités soit sous forme de métaphores soit sous forme de comparaisons :
« Le serpent de la Genèse, le corbeau et la colombe de l’arche, le bélier sacrifié à la place d’Isaac, le veau d’or et le serpent d’airain, l’ânesse de Balaam, le lion terrassé par Samson, l’ours et le lion vaincus par le jeune David pour protéger ses brebis, le sanglier qui ravage les vignes du Seigneur, le poisson et le chien de Tobie, les corbeaux d’Elie, l’ourse d’Elisée, les lions de Daniel, la baleine de Jonas. A cette liste qui pourrait être multipliée par deux ou par trois s’ajoutent les animaux du Nouveau Testament : en premier lieu, l’agneau du Sauveur et la colombe de L’Esprit Saint mais aussi le bœuf et l’âne de la Nativité, l’âne de la fuite en Egypte, l’ânesse de l’entrée à Jérusalem, le poisson dérobé par Judas, le coq du reniement de Pierre, les quatre chevaux, le dragon et les bêtes de l’Apocalypse ».
A l’origine des bestiaires : un texte grec (IIème siècle) qui fut rapidement traduit en latin et qu’on appela le « physiologus » « le naturaliste). Sur cette base viennent se greffer des extraits de textes de St Ambroise (Hexaemeron) et de St Augustin, des extraits de l’histoire naturelle de Pline ( Ier siècle) et des Etymologies d’Isidore de Séville ( VIIème siècle). Certaines œuvres médicales furent aussi parfois utilisées : celles de Dioscoride ( Ier siècle) et de Galien ( IIème siècle).
« Ces additions successives donnèrent naissance à un genre de livre particulier qui dès avant l’an 1000 reçut le nom de « Bestiarum » (livre de bêtes) ». ((PASTOUREAU Michel, Bestiaire du moyen-âge, op. cit., p 27))
Au XIIIème siècle, des textes furent empruntés à Aristote avec parfois des commentaires d’Avicenne. Tous ces remaniements entraînent une classification parmi les bestiaires (environ quatre grandes familles mais il y eut beaucoup de controverses et de débats à ce sujet).
Dès l’époque carolingienne, le texte des bestiaires commence à influencer d’autres types d’ouvrages, notamment les encyclopédies. La partie consacrée aux animaux dans ces ouvrages devient de plus en plus importante, c’est le cas dans le liber de natura rerum du dominicain Thomas de Cantimpré, écrit entre 1228 et 1244.
Le texte latin des premiers bestiaires fut rapidement traduit en langues vernaculaires.
« Trois poètes normands ont composé des bestiaires rimés en ancien français : Philippe de Thaon, Gervaise et Guillaume le Clerc ». ((MURATOVA Xénia in Manuscrits et enluminures dans le monde normand (Xème-XVème siècles. Presses universitaires de Caen 1999 p 161))
« Le mot français bestiaire apparaît pour la première fois au début du XIIème siècle, sous la plume d’un clerc anglo-normand, Philippe de Thaon, attaché à la cour du roi d’Angleterre Henri Ier Beauclerc. Son bestiaire versifié compilé à l’horizon des années 1121-1135 comporte trente-huit chapitres dont près de la moitié sont consacrés aux oiseaux. Cet auteur, pionnier dans ce qu’on pourrait appeler la « vulgarisation scientifique » a également mis en forme deux lapidaires (équivalent des bestiaires pour les pierres) l’un décrivant les propriétés d’un grand nombre de minéraux, l’autre fortement allégorique, se limitant aux douze pierres précieuses présentées dans l’Apocalypse comme les fondations de la Jérusalem céleste. » ((PASTOUREAU Michel, Bestiaire du moyen-âge, Le grand livre du mois, 2011, p 28))
Il a dédié son bestiaire à la reine Aëlis, épouse d’Henri Ier. Il existe trois manuscrits du bestiaire de Philippe de Thaon. « Il est curieux que dans l’un des manuscrits conservés (…) le nom de la reine Aëlis ait été remplacé par celui d’Éléonore d’Aquitaine, déjà épouse d’Henri II d’Angleterre à cette époque » ((MURATOVA Xénia in Manuscrits et enluminures dans le monde normand (Xème-XVème siècles. Presses universitaires de Caen 1999 p 161)) Peut-être son auteur s’était-il ainsi mis sous sa protection ?
Il est intéressant de noter que le roi Henri Ier Beauclerc, « fils de guillaume le conquérant, possédait une ménagerie célèbre dans l’Europe entière. Après avoir enlevé la Normandie à son frère Robert II Courteheuse en 1106, il installe à Caen les animaux les plus rares de sa ménagerie : un lion , un léopard, un lynx, un chameau, une autruche . » ((MURATOVA Xénia in Manuscrits et enluminures dans le monde normand (Xème-XVème siècles. op.cit p.161))
A partir du XIIIème siècle, les auteurs de bestiaires préfèrent écrire en prose. L’un des plus anciens auteurs, Pierre de Beauvais annonce dès son prologue une définition :
« Chi commence li livres c’on apele Bestiaire. Et por ce est il apelés ensi qu’il parole des natures des bestes. »
(« Ici commence le livre qu’on appelle Bestiaire. Il est appelé ainsi parce qu’il parle de la nature des bêtes. »)
Ce livre sera copié, imité, remanié pendant trois ou quatre générations. La réécriture la plus remarquable est celle de Richard de Fournival : vers 1250, il rédige le Bestiaire d’Amour. A partir des propriétés des animaux, il tire des enseignements sur l’amour et les stratégies amoureuses. Le texte de ce Bestiaire d’Amour nous est connu par dix-sept manuscrits dont quatorze sont enluminés.
En effet, plus de la moitié des bestiaires sont illustrés, l’apogée de cette production se situant entre la fin XIIème et le début XIVème. Ils contiennent plus ou moins d’images.
Quelques scènes de la Genèse y sont presque toujours présentes : la création des quadrupèdes, des oiseaux, des poissons et également Adam nommant chaque animal.
« Le discours sur le nom occupe en effet une place essentielle dans les bestiaires qui empruntent la plupart des étymologies qu’ils proposent à Isidore de Séville »
Les étymologies jouent parfois avec les mots et font des rapprochements, par exemple pour le cerf : ils rapprochent le latin cervus (le nom de l’animal) du latin servus, un des qualificatifs associés au Christ. Le cerf devient le symbole du Sauveur, ses bois rappellent celui de la croix.
Plusieurs auteurs commentent un passage de Pline : le cerf est l’ennemi du serpent qu’il force à sortir de son trou en le remplissant d’eau puis en aspirant ; le serpent une fois dehors, il le tue et le mange. Mais s’il reste trois heures sans boire après un tel repas, il mourra tant le serpent, même mort, est venimeux. C’est pourquoi le cerf cherche une source ou une fontaine où il pourra s’abreuver, ce qui fait écho au psaume bien connu :
Géographiquement, on constate qu’Il y a peu de bestiaires enluminés en Normandie.
« Il y a le manuscrit 1468 du XIIIème siècle de la bibliothèque municipale de Rouen provenant de l’abbaye de Jumièges et contenant le texte De natura animalium (f°135 v° et suivants) ou le ms 638 du XIIème de la même bibliothèque probablement originaire du scriptorium de l’abbaye de St Ouen et contenant le texte du Physiologus. Il s’agit là de manuscrits sans ornementation. » ((MURATOVA Xénia in Manuscrits et enluminures dans le monde normand (Xème-XVème siècles. op.cit p.151))
On en retrouve beaucoup plus en Angleterre : peut-être y voit-on là l’intérêt particulier d’une élite anglaise curieuse des choses de la nature et de l’enseignement qu’on pouvait en retirer , « attirance traditionnelle du monde insulaire pour l’aspect magique et légendaire des phénomènes de la nature. Il faut penser aussi à la curiosité particulière de la culture insulaire pour les formes zoomorphes qui nourrissent l’imagination artistique basée sur les traditions celtiques, nordiques, mérovingiennes, carolingiennes et ottoniennes. Enfin, l’Angleterre a été dans l’Europe des XIIème et XIIIème siècles l’un des pays où l’intérêt pour les sciences naturelles, dans la plus pure tradition médiévale, a été le plus vif. » ((MURATOVA Xénia in Manuscrits et enluminures dans le monde normand (Xème-XVème siècles.op.cit p155))
A partir du XIème siècle, il y eut une « circulation » des moines copistes et aussi des manuscrits normands vers l’Angleterre et à partir de ce moment là, les manuscrits anglais s’enrichissent des ornements normands et cela va aboutir à l’enluminure romane anglaise.
La tradition des scriptoria normands ( en particulier au Mont St Michel) se distingue par l’ornementation particulière des lettrines décorées de motifs animaliers qui remontent elles-mêmes à la tradition mérovingienne des initiales zoomorphes (telles que celles que l’on peut trouver dans le psautier de Corbie). Cette influence est « la plus importante contribution normande dans l’enluminure anglaise » et « la base essentielle des créations ornementales romanes les plus typiques et les plus splendides ».
« Il suffit de penser par exemple à l’initiale montoise Q sur le f°240v° du ms 97 (Moralia in Job de St Grégoire le Grand) de la bibliothèque municipale d’Avranches, du XIème siècle. Deux oiseaux affrontés, représentés de profil, forment les courbes extérieures de la lettre ; c’est l’interprétation d’un ancien motif oriental largement diffusé dans l’art médiéval.
Les oiseaux tiennent dans leurs becs et leurs pattes le corps aplati et représenté la tête en bas d’un lion, qui constitue la partie interne de la lettre ; des motifs végétaux accompagnés de palmettes stylisées relient les têtes et les queues des oiseaux ; dans la partie inférieure, la profusion de palmettes introduit une note asymétrique dans la forme ovoïde de la lettre. Ce même type de représentation de corps d’animaux, aplatis et étirés comme dans un atlas zoologique, se retrouvent souvent dans les manuscrits de bestiaires de la fin du XIIème et XIIIème siècle. Un motif proche des oiseaux affrontés formant un cercle apparaît dans les enluminures de plusieurs bestiaires de la même période où ce motif est brillamment inscrit dans un cadre arrondi (f° 56 du ms Ashmole 1511 de la Bodleian Library d’Oxford daté du premier tiers du XIIIe siècle).
Les échos de la tradition ornementale des initiales normandes se font sentir jusque dans les manuscrits de la première moitié du XIIIème siècle. ((MURATOVA Xénia in Manuscrits et enluminures dans le monde normand (Xème-XVème siècles.op.cit p 160))
« Les bestiaires enluminés étaient réalisés au sein d’importants ateliers, dans lesquels les artistes travaillaient à partir d’un choix de modèles préétablis. Dans certains cas, ils reprenaient en totalité telle ou telle série d’illustrations. C’est pourquoi on se trouve aujourd’hui en présence d’un certain nombre de « manuscrits-frères » ou « manuscrits-compagnons » développant des cycles iconographiques identiques : dans ces groupes, un manuscrit servait parfois d’exemple à un autre. ((http://www.abdn.ac.uk/bestiary/history.hti , site officiel du Bestiaire d’Aberdeen, dont voici une traduction partielle
« Les premiers bestiaires, New York Morgan Ms 81 (inscription du don de Philippe Apostolorum (mentionné dans les archives entre 1160 et 1203) chanoine de la cathédrale de Lincoln à l’atelier augustin de Worksop en 1187 du Bestiaire, d’une carte du monde et et de nombreux autres ouvrages, pour l’instruction des moines) et Leningrad Qu. V 1 sont reliés à ce bestiaire. L’artiste les connaissait.
Sous les évêchés se Geoffroy Plantagenêt, Walther de Coutances et St Hugues de Lincoln, la cathédrale de Lincoln a développé une école cathédrale renommée pour ses études théologiques dans la seconde moitié du XIIe siècle. Les sermons étaient enseignés et l’imagerie des bestiaires venait souvent les illustrer. Le maître et futur chancelier, Guillaume de Montibus, utilisait de nombreuses métaphores animales (Ms744 Bib Mazarine, il est venu dans les années 1180).
St Aelred de Rielvaulx, dans le Yorkshire (abbé de 1147-67) et Gilbert de Swineshead (mort en 1172), dans le Lincolnshire, ont écrit de nombreux sermons à partir du Physiologus.
Le bestiaire du Physiologus était important dans l’aire d’influence de l’église abbatiale de York. De nombreuses églises paroissiales ont des portails comportant des histoires d’animaux mais la plus significative se trouve à Alne, près de York. Là, 19 motifs du Physiologus sont gravés avec la plupart du temps, son titre dessous. L’utilisation de ces titres en un lieu où la plupart des utilisateurs ne savaient pas lire montre fortement que les motifs ont été gravés à partir d’un livre, et en fait, leurs tracés correspondent au Oxf. Bod. Laud Misc. 247 (Muratova, 1987, 337-353).
Geoffroy Plantagenêt, fils illégitime d’Henri II et demi-frère de Richard et Jean, a fait le lien entre Lincoln et York. Lorsqu’il était évêque de Lincoln (1173-82), il a considérablement augmenté la réputation de l’école cathédrale. Il devint archevêque de York (1189-1212). Il possédait le Psautier de St Louis (Leiden U.L. MS 76A. Morgan 1982, 60-1) un superbe manuscrit dont le calendrier indique qu’il a été réalisé dans un atelier augustin du Nord de l’Angleterre, probablement à York. Son style est très proche des bestiaires d’Aberdeen et d’Ashmole. (La position du chat du Aberdeen f°23v est dans la même position que le Leiden f°120). Geoffroy fut exilé en France en 1207, perdant presque tous ses biens. Son influence sur la réalisation des manuscrits a dû s’exercer avant cette date.
Il y a de nombreux autres manuscrits illustrés dans un style relié aux bestiaires d’Aberdeen et Ashmole. Ils ont tous un lien avec les comtés de York ou de Lincoln à la fin du XIIe s., seul le Guthlac Roll peut être rattaché à une abbaye spécifique, celle de Croyland. Le Guthlac Roll (B.L.Harley Roll Y.6. Morgan 1982, 67) est constitué de médaillons de dessins au trait qui illustrent la vie de St Guthlac de Croyland, dans le Lincolnshire. Ils ressemblent plutôt à des dessins pour vitraux, et de fait, le vitrail de la rosace Nord de la cathédrale de Lincoln est du même type. L’artiste du Guthlac roll a peut-être traduit les miniatures du Bestiaire de Cambridge (U.L. Ii 4.26. Morgan 1982, 66) car ils se ressemblent beaucoup. Les enluminures des bestiaires de Leningrad et de la Morgan Library sont très proches de ce style du Lincolnshire. Le psautier de Copenhague (Copenhagen Bib. Roy. Thott 14 32) dont le calendrier indique une réalisation dans un établissement augustin du Nord de l’Angleterre partage avec le bestiaire d’Aberdeen une grande part de sa finesse, en particulier les rehauts blancs. Ces rehauts se voient sur le f°11r de l’ibex et le f°12 r du bonnacon
Muratova a conclu que l’extrême qualité du bestiaire d’Aberdeen indique qu’il fut commandé par un personnage très aisé. Les bestiaires étaient populaires dans la famille royale et parmi les grands de l’Eglise à la fin du XIIe siècle. Les histoires des bestiaires et du Physiologus étaient abondamment utilisées pour les commentaires religieux, dans le Lincolnshire et le Yorkshire. Le bestiaire d’Aberdeen est clairement un produit de la même zone artistique qu’un certain nombre d’autres manuscrits qui peuvent être reliés à la zone Lincoln/York et présente, en particulier, des similitudes avec le Psautier de St Louis, possédé par Geoffroy Plantagenêt, fils du roi, évêque de Lincoln puis archevêque de York. Il ne peut être prouvé que le bestiaire d’Aberdeen ait appartenu à Geoffroy Plantagenêt, mais ce milieu culturel en est une origine probable.
Clark (1992, 80-85) propose une origine dans le Sud de l’Angleterre. Le style général du bestiaire d’Aberdeen est très répandu à travers toute l’Angleterre à la fin du XIIe siècle. Des représentations identiques se retrouvent dans les Decretum de St Bertin, à St Omer, dans le Nord-Est de la France ( St Omer Bibl. Mun. 476) et dans un folio relié à Canterbury ( B.L. Cott. Vesp.A.1). Les rehauts en filigranes blancs se retrouvent souvent dans les manuscrits du Sud de Bury St Edmond ou Canterbury (Kauffmannn,1975, nos. 56,68,70,96). Bien que Lincoln et York étaient des écoles réputées, il y a très peu d’éléments pour conclure à une production de luxueux manuscrits à cet endroit. On peut montrer que les bestiaires étaient étudiés dans le Nord, mais ils étaient tout aussi populaires dans le Sud. Les deux bibliothèques monastiques de Canterbury réunirent à elles seules sept bestiaires au Moyen Age : partout ailleurs, les bibliothèques médiévales n’en possédait qu’un ou deux, lorsqu’ils étaient mentionnés. De plus, les lettrines d’Aberdeen de type 2 sont les mêmes que celles du Psautier de Paris, réalisé à Canterbury (Paris, Bibl. Nat. MS lat 8846) et certains vitraux de la verrière de Becket de la Chapelle de la Trinité de Canterbury sont du même type que les bestiaires d’Aberdeen et d’Ashmole (Caviness 1981, pl.117).
Enfin, la plupart de ces preuves sont indirectes. Dans ce groupe de bestiaires, seul celui de Leningrad peut être localisé, comme un don de Lincoln à Worksop. Même ceci ne prouve même pas que ce dernier a été réalisé à Lincoln. Le Guthlac Roll est très lié à Croyland, dans le Lincolnshire et le Psautier de St Louis provient du Nord de l’Angleterre. L’origine précise du Bestiaire d’Aberdeen reste inconnue.
[…]
Les relations avec Oxford Bod. MS Ashmole 1511
[…]
Muratova (1989, 53-68) pensait que Ashmole avait été réalisé par le maître qui avait donné des instructions claires à son apprenti d’Aberdeen. Pour elle, les compositions d’Aberdeen sont « surchargées », et les riches robes des humains « cachent le désarroi d’un élève qui ne comprend pas les articulations des personnages humains. » En particulier, elle considère que le maître d’Aberdeen a eu des difficultés pour appréhender l’espace dans les scènes de la Genèse (1984a, 47-8). Ce qu’elle oppose à la clarté et à la grâce d’Ashmole.
Une comparaison de trois scènes, la Création du ciel et de la terre, Adam nommant les animaux et le tigre , clarifiera les différences entre les deux artistes et permet de considérer le jugement de Muratova sous un autre éclairage.
(Ashmole la Création du ciel et de la terre (f°4r), Adam nommant les animaux et le tigre (f°12))
(Aberdeen Création du ciel et de la terre (f°1r), Adam nommant les animaux (f°5r), le tigre (f°8r))
[…]
Dans ces trois exemples, l’artiste d’Aberdeen montre une prise en main confiante et raisonnée de la composition des scènes où celui d’Ashmole se montre parfois hésitant. Il est capable d’exprimer une action dynamique et une implication où celui d’Ashmole est plus retenu. Dans la tenue des drapés, Ashmole peut être plus expressif, utilisant les plis avec plus de délicatesse. L’artiste d’Aberdeen apparaît comme peignant des vêtements plus lourds.
Quelques scènes donnent des indices complémentaires sur les liens entre les deux productions. Ce sont les pierres à feu, le chien et le chat.
(Ashmole : les pierres à feu (f°103v), le chien (n’est pas dans Ashmole) et le chat.
(Aberdeen : pierres à feu (f°93v), chien (f°12v), chat (f°5r, f°28r))
[…]
Ces comparaisons entre Aberdeen et Ashmole ont tenté de mettre en évidence les deux personnalités artistiques différentes, avec leurs points forts. Leur ouvrage ont clairement été produits dans le même atelier, probablement en utilisant le même modèle. La proposition de Muratova que Aberdeen était le chef d’œuvre d’un apprenti guidé par le maître d’Ashmole (1989,59) présente quelques problèmes. Il est très improbable qu’un tel maître « gothique » ait formé un tel apprenti « roman » et il y a très peu d’indices qui montrent qu’Aberdeen soit l’œuvre d’un apprenti. Au contraire, les enlumineurs d’Ashmole et Aberdeen apparaissent tous les deux comme des maîtres possédant la liberté de développer des personnalités artistiques différentes dans un environnement de travail très controlé.» (Trad. Artaud) ))
Tel est le cas par exemple des bestiaires d’Ashmole et d’Aberdeen, réalisés dans le même atelier à partir d’un même modèle. ((Fin de la note précédente : http://www.abdn.ac.uk/bestiary/history.hti , site officiel du Bestiaire d’Aberdeen,
« Ces comparaisons entre Aberdeen et Ashmole ont tenté de mettre en évidence les deux personnalités artistiques différentes, avec leurs points forts. Leur ouvrage ont clairement été produits dans le même atelier, probablement en utilisant le même modèle. La proposition de Muratova que Aberdeen était le chef d’œuvre d’un apprenti guidé par le maître d’Ashmole (1989,59) présente quelques problèmes. Il est très improbable qu’un tel maître « gothique » ait formé un tel apprenti « roman » et il y a très peu d’indices qui montrent qu’Aberdeen soit l’œuvre d’un apprenti. Au contraire, les enlumineurs d’Ashmole et Aberdeen apparaissent tous les deux comme des maîtres possédant la liberté de développer des personnalités artistiques différentes dans un environnement de travail très controlé.» (Trad. Artaud) ))
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Place et rôle de l’animal dans la fabrication des manuscrits :
Il faut bien lui rendre justice : sans l’animal, il n’y aurait pas de manuscrit !
C’est aux environs des IVème et Vème siècles que le papyrus , sorte de roseau donc végétal, fut abandonné au profit du
– parchemin, peau d’animal finement tannée.le terme parchemin vient du grec pergamênê, peau apprêtée à Pergame,ville de l’actuelle Turquie.Cela peut-être des peaux de moutons, de chèvres,de chevreaux ou de veaux mort-nés (il s’agit alors du vélin utilisé pour les ouvrages de luxe)
– les plumes : d’oie, de cygnes, de vautours et d’aigles pour les écritures de taille moyenne ou grande et celles de canards et de corbeaux pour les écritures plus fines.
– les cornes de bovidés pour servir d’encriers
– les poils d’écureuils, de martres, d’hermines ou de blaireau pour les pinceaux
– les dents de loup pour brunir l’or
– Les pattes de lièvre pour lisser la page enluminée
– les os et l’ivoire pour faire des manches d’instruments ( tels que la pointe sèche servant à tracer la réglure )
– Les coquilles de mollusques pour y mettre les couleurs et servir en quelque sorte de palette
« Parfois, il s’établit des hiérarchies entre les matières animales elles-mêmes. Ainsi, pour ce qui concerne les cuirs et les peaux utilisés comme reliures ou couvertures: la peau du cerf – animal dont la symbolique est fortement christologique- convient mieux pour couvrir les livres saints que celle de la vache ou de la truie » ((PASTOUREAU Michel, Bestiaire du moyen-âge, Le grand livre du mois, 2011, p 37))
De plus, si la plupart des couleurs utilisées par les enlumineurs sont d’origine minérale et parfois végétale, certaines sont d’origine animale :
–l’écarlate , rouge obtenu en broyant le corps d’un petit insecte , le kermes vermilium vivant sur certains chênes , le chêne kermes ( Quercus coccifera)
La cochenille du Mexique sera introduite beaucoup plus tard et fournira le précieux carmin
– la pourpre , tirée d’un petit coquillage : le murex (ce pigment si rare atteignait voire dépassait le prix de l’or)
– le noir obtenu à partir d’os ou de morceaux d’ivoire calcinés et broyés
– la sépia extrait de l’encre de seiche (mollusque céphalopode)
Très importants pour confectionner les couleurs à partir des pigments : les liants sont presque tous d’origine animale : œuf ( blanc ou jaune) lait, miel …
Il ne faut pas oublier les colles qui servaient pour poser l’or : colles de poisson,de parchemins, de peaux de lièvres, de bois de cervidés….
Nous constatons que pour fabriquer un manuscrit, les trois règnes sont importants : animal, minéral et végétal…et l’homme…
Il faut la participation de toute la Création pour aboutir à un manuscrit enluminé.
Bibliographie :
PASTOUREAU Michel . » bestiaire du moyen-âge »le grand livre du mois octobre 2011
MURATOVA Xénia in « Manuscrits et enluminures dans le monde normand ( Xème-XVème siècles. Presses universitaires de Caen 1999
Sitographie :
Bestiaire d’Ashmole, dans la base Luna de la Oxford, Bodleian Library;
Bestiaire d’Aberdeen, site officiel;
Site canadien spécialisé sur les bestiaires de David Badke ;
Arth Maël,
Publié sur aisling-1198.org le 12 septembre 2012
Last updated: lundi 23 février 2015
Notes: